Une exposition sur la Bible s’est tenue dans un lycée public du Mans du 3 mars au 23 mars 2012 à la
chapelle de l’oratoire ; bâtiment désaffecté mais situé dans l’enceinte du lycée public Montesquieu.
Cette exposition organisée par une coordination d’associations religieuses (1) a visiblement reçu l’aval
de l’Inspection Académique de la Sarthe, du Rectorat de Nantes ainsi que le soutien de la mairie du Mans, propriétaire de la chapelle désaffectée. Une convention liant la mairie et l’évêché
permet en effet à l’Eglise catholique de tenir six manifestations par an dans cette chapelle.
Ses concepteurs mettent en avant la reconnaissance par l’UNESCO de la Bible comme
patrimoine de l’Humanité ainsi que le soutien du ministère de la culture.
La Libre Pensée de la Sarthe a rédigé un communiqué de presse le 27 décembre 2011 pour
caractériser cette entreprise comme cultuelle et non culturelle et demander le retrait de cette exposition religieuse d’un site relevant de l’enseignement public et laïque. Le communiqué
rappelait que l’Ecole Publique « doit être un lieu d’enseignement des savoirs et des connaissances et non pas un lieu de prosélytisme, de diffusion des opinions et des
croyances ». Le 3 janvier 2012, le syndicat SNES-FSU 72 reprenait l’intégralité du communiqué de la Libre Pensée de la Sarthe sur son site internet. Dans les jours
suivants, les syndicats de l’enseignement FO, Sud, CGT s’associaient à cette démarche ainsi que toutes les associations laïques du département (à l’exception de la LDH)
La réaction des laïques a connu un succès certain puisque l’exposition n’a été
ouverte, contrairement à ce qui était prévu, qu’en dehors des heures d’enseignement. Il reste qu'elle a bien eu lieu dans l’enceinte d’un établissement scolaire public. Les associations
laïques comptent donc dénoncer maintenant la convention passée entre la mairie du Mans et l’évêché.
Ce combat pour faire respecter la laïcité de l’enseignement public est d'autant plus
justifié que nous venons d’apprendre qu’une messe est également organisée ce 3 mai à 18h30 au lycée Montesquieu. Nos associations continueront de se battre ; nous sommes reçus dans deux
semaines à la mairie du Mans.
En attendant d’autres informations, je vous invite à lire cette analyse de Rémy
Janneau qui aide à comprendre les origines profondes de cette exposition en lycée public ainsi que son lien avec les attaques contre les programmes scolaires.
Hansi
(1) la bible
patrimoine de l’humanité est une « initiative du Groupe Œcuménique du Mans ». « L'association "La Bible, patrimoine de l'humanité" a pour membres fondateurs les communautés chrétiennes sarthoises : Adventiste, Assemblée de
Dieu, Baptiste,
Catholique,Centre Evangélique Protestant, Orthodoxe, Réformée. S'y est associée la communauté israélite sarthoise. »
Cette exposition n’est pas le fruit d’un
dérapage. Elle s’explique par la place nouvelle de la Bible dans les programmes et dans les manuels. Ce qui restait, jusqu’à une date récente, un texte sacré auquel il pouvait, éventuellement,
être fait référence dans le cadre d’un contexte – celui des civilisations de l’orient ancien - a été promu source essentielle de la connaissance non des croyances des Hébreux, mais leur
Histoire. Au titre-question Quelle est l’histoire des Hébreux ?, par
exemple, répond dans un manuel de 6ème (1), un dossier documentaire composé d’extraits de l’Ancien Testament, illustrés par des fresques ou des bas-reliefs. Les auteurs concèdent
prudemment – ou habilement - que « l’existence d’Abraham, de Moïse et de David n’est pas vérifiée par l’histoire », que « certains récits sont légendaires »
mais le texte d’accompagnement est au présent de narration et, surtout, les mythes se mêlent à des faits historiques qui semblent les valider. La même méthode se retrouve dans tous les
manuels : la création du monde, le combat de David et de Goliath, l’arche de Noé, le passage de la Mer Rouge, le jugement de Salomon ou encore l’extermination par les troupes de
Nabuchodonosor puis l’exil à Babylone, sont associés aux conquêtes assyriennes ou au pillage du temple de Jérusalem par les troupes de Titus.
Paradoxe : cette approche plus religieuse qu’historique s’impose en France alors que depuis un bon quart de siècle,
archéologues et historiens, au premier chef, israéliens, montrent de manière convaincante que la Bible n’est qu’une réécriture politique tardive du passé des juifs que l’archéologie contredit
totalement. Dans un ouvrage intitulé La bible dévoilée (2), Israël Finkelstein et Neil Silberman, respectivement directeur de l’Institut d’archéologie de l’université de
Tel-Aviv et directeur historique au Ename Center for Public Archeology and Heritage Presentation de Belgique, présentent un état de ces recherches qui établissent que la sortie d’Egypte et la
conquête de Canaan sont des mythes, que les Hébreux sont issus, non d’une population immigrée ou conquérante mais tout simplement de la population autochtone, que le vaste et puissant royaume de
David et de Salomon n’est qu’un « âge d’or » ou, pour reprendre l’expression de Philip Davies de l’université de Sheffield, un « montage idéologique », forgé
au VIIème siècle pour légitimer la dynastie dite davidique alors incarnée par Josias et affirmer l’identité du petit royaume de Juda face aux puissants voisins égyptiens et
assyriens.
Schlomo Sand, professeur à l’université de Tel-Aviv, montre, dans un ouvrage tout
à fait remarquable (3), comment ces mythes ont été politiquement instrumentalisés à différents moments de l’histoire. La mémoire officielle - nécessairement sélective - établie, à
partir du XIXème siècle, par les historiens nationalistes puis par les théoriciens du sionisme ne résiste pas, en effet, à une approche scientifique. La diaspora et l’exil
semblent bien, comme le « peuple juif » lui-même, avoir été « inventés ». Ni les Babyloniens au VIème siècle, ni les Romains après les révoltes de
70 et de 135 n’ont déporté massivement les populations juives. Tout au plus ont-ils déplacé les élites. Réalité longtemps occultée, pour ne pas dire inavouable : beaucoup de juifs se
sont, en revanche, convertis au christianisme puis à l’islam. Schlomo Sand met ainsi en pièces le mythe d’un « peuple juif » descendant quasi génétiquement d’Abraham.
Contrairement à une idée reçue, les juifs ont largement pratiqué la conversion, parfois forcée, comme celle des Iduméens et des Ituréens. Le nombre de juifs de toutes origines, vivant, au premier
siècle, dans l’Empire romain, en dehors de la Palestine, est ainsi évalué à 4 millions. Autre réalité historique soigneusement occultée: l’existence, en différentes régions du monde
antique, de royaumes juifs (Adiabene au Kurdistan, Hymiar en Arabie, celui de la Kahina en Afrique du nord) et même d’un empire, celui des Khazars. Les juifs originaires d’Europe de
l’est descendraient ainsi non de populations originaires des rives du Jourdain mais de ces cavaliers des steppes d’origine turco-mongole, ce qui bouleverse quelque peu la tradition.
Ceci étant, les
débats restent ouverts sur de nombreuses questions, en particulier sur la puissance réelle voire sur l’existence du royaume de David. Il appartient aux scientifiques – et à eux seuls - d’y
apporter des réponses. Le problème est ailleurs : au moment où des universitaires israéliens établissent que, jusqu’aux années 60 au moins, la recherche archéologique a été orientée pour
faire coller les sources au récit biblique, les programmes imposent, aujourd’hui, en France, cette fiction comme une culture religieuse mal différenciée de l’étude historique. La
structure des programmes révèle qu’on est, en fait, bien loin de l’Histoire. En 6ème, les religions monothéistes sont traitées dans des chapitres particuliers, distincts de la période
historique correspondante. Cette déconnection est révélatrice d’une volonté de substituer l’étude du « fait religieux » à l’enseignement de l’Histoire. Le problème est bien là.
Le ministère avait d’ailleurs envisagé, dans un premier temps de faire étudier l’islam en 6ème alors qu’il est abordé, d’un point de vue historique, en 5ème. Il a renoncé
devant la protestation des enseignants mais, sous couvert d’approche culturelle, le judaïsme et le christianisme antiques restent traités d’un strict point de vue religieux.
Ce changement radical dans l’approche de la place des religions dans l’Histoire est le fruit
d’une stratégie. Il est l’expression, pour reprendre un titre récent, de la « revanche du parti noir » (4), celle d’un parti clérical qui n’a jamais désarmé. Un
événement passé quasi inaperçu à l’époque marque le début de cette contre-offensive: en 1972, s’est réuni, à l’Université catholique de Louvain, un symposium convoqué par la
Sacra Congegatio pro Institutione Catholica, congrégation sise au Vatican, sous les auspices du Conseil de la Coopération Culturelle du Conseil de l’Europe, avec le concours, pour ce qui
est de la France, du directeur de l’Ecole Nationale des Chartes et d’un Inspecteur Général chargé du groupe de travail francophone. Près de 1000 manuels d’histoire utilisés en Europe occidentale
y furent passés au crible. En introduction, le cardinal Garone avait donné le ton: « La tâche du professeur d’histoire conscient de ses responsabilités, est de reconnaître l’importance
du phénomène religieux dans l’histoire de l’humanité… ». Il mettait ensuite les points sur les i : « Il est probablement impossible d’écrire l’histoire, sans un
certain nombre de convictions religieuses. » De l’enseigner aussi, il est permis de le supposer. La conclusion du symposium avait le mérite de la clarté: « Nous souhaitons de
tout cœur pouvoir, par nos communs efforts, contribuer non seulement à améliorer la qualité des manuels d’histoire mais aussi à modeler dans le bon sens la personnalité des jeunes qui sont en
définitive les agents de ce monde meilleur dont nous espérons être les témoins à l’heure choisie par Dieu. » (5).
Inutile de chercher ailleurs la source des dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui. Que
l’Eglise catholique éprouve, plus qu’il y a 40 ans, le besoin de faire alliance avec une coordination d’associations religieuses d’obédiences diverses ne change rien au fond de la question. La
pluralité confessionnelle n’est nullement une garantie de neutralité idéologique moins encore d’objectivité scientifique. Œcuménique ou non, le prosélytisme reste incompatible avec la laïcité de l’enseignement.
Rémy Janneau
(1)
Manuel d’Histoire-Géographie de 6ème Nathan 2009.
(2)
Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman – La bible dévoilée – Les nouvelles révélations de
l’archéologie – Bayard – 2002.
(3)
Shlomo Sand – Comment le peuple juif fut inventé – Arthème Fayard – 2008.
(4)
Michel Eliard, Michel godicheau et Pierre Roy – La revanche du parti noir – La lente mise à mort de l’école
publique – Editions Abeille et Castor – 2011.
(5)
Sur le symposium de Louvain, voir O. Dauphin, R. Janneau, N. Perron (dir) :
L’histoire-géographie de l’école élémentaire au lycée. Vecteur de propagande ou support de l’esprit critique ? L’Harmattan – 2009 – pp 73à 76.