colonialisme

Publié le 25 Juin 2017

 

Au début du XXe siècle, l’Afrique sort de plus de 1000 ans de traites négrières : la traité orientale (VIIe siècle – 1920), la traite transatlantique (XVe siècle – fin du XIXe siècle), la traite intra-africaine (XIe siècle – XIXe siècle). D’après les recherches d’Olivier Pétré-Grenouilleau, dans son ouvrage de synthèse « Les Traites négrières. Essai d'histoire globale », l’historien estime à 42 millions le total de victimes pour les trois traites négrières. C’est donc après 1000 ans de capture de sa population que l’Afrique entre dans le XXème siècle et qu’elle va à nouveau servir de réservoir humain pour les puissances occidentales qui préparent l’affrontement de la première guerre mondiale.

L’ORIGINE DES TIRAILLEURS SENEGALAIS

Pour défendre et protéger les territoires colonisés, les Britanniques et les Français enrôlent des Africains dans leurs unités. En 1819, le ministre de la Marine met en place le recrutement de « compagnies d’hommes de couleur ». Il offre une prime initiale à quiconque s‘enrôlera dans ces formations rattachées aux unités françaises du Sénégal. En pratique, les maîtres encaissent l’argent et les nouveaux soldats effectuent un service militaire de douze à quatorze ans. Ce système appelé rachat est maintenu tout au long du XIXe siècle.

L’émancipation des esclaves qui suit la révolution de 1848 freine le recrutement de soldats africains. En vertu du « Décret relatif à l’abolition de l’esclavage », la pratique du rachat est frappée d’interdiction totale. En réalité, le système de rachat disparait vers 1882, lorsque les Français arrêtent de passer par le marché aux esclaves.

De nouvelles méthodes de recrutement sont mises en place et notamment le choix délibéré de la carrière militaire donnant naissance aux premiers mercenaires libres. Louis Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, crée en 1857 les « Tirailleurs sénégalais ». Il adopte une série de mesures pour inciter les Africains à s’enrôler : le traitement normal est majoré, des primes sont accordées aux nouvelles recrues. Au début de 1858, 4 compagnies complètes sont mises sur pied.

LA FORCE NOIRE DE MANGIN

Au début du XXe siècle, la préparation de la guerre est dans toutes les têtes. En 1910, Le Général Mangin, fort d’une expérience militaire en Afrique (Mission Congo-Nil, conquête du Maroc), rassemble ses articles et ses discours dans un ouvrage intitulé La Force Noire.  Il y développe son projet : faire de l’Afrique noire le réservoir de la puissance française.

Mangin développe deux thèmes principaux. La force militaire reposant pour lui d’avantage sur la supériorité numérique que sur la technologie, Mangin compte sur les populations coloniales françaises pour faire contrepoids à la vigoureuse croissance démographique allemande. Pour lui, l’Afrique noire constitue une réserve quasi inépuisable d’hommes. Selon ses estimations, à elle seule la région de l’Afrique Occidentale Française (AOF) peut aisément fournir au minimum 10 000 volontaires par an.

De plus, pour lui, les Africains sont des « soldats nés », les hommes noirs ont une vocation naturelle au métier d’armes. Mangin évoque des arguments d’ordre culturel et racial. Les Noirs seraient dotés d’un système nerveux beaucoup moins développé que celui du blanc faisant de l’homme noir un grand guerrier sans peur.

La réalité est évidemment tout autre. Outre les fondements plus que discutables des notions racistes concernant les traits guerriers et neurologiques propres aux hommes noirs, les hypothèses démographiques de Mangin se révèlent fausses. En fait à l’exception de quelques régions, l’AOF n’est guère populeuse.

Jusqu’au conflit de 1914-1918 les tirailleurs sénégalais constituent essentiellement une formation mercenaire. La première guerre mondiale accélère le processus. Le recrutement en temps de guerre s’effectue par le biais de méthodes coercitives rappelant l’époque de la traite des esclaves.

EFFECTIF MILITAIRE AFRICAIN ENTRE 1820 ET 1914

1820-1857

1862-1895

1900-1914

1998

20 799

83 085

Source : Maurice Abadie, La défense des colonies (Paris, Lavauzelle, 1937) cité dans Myron J. Echenberg, Les tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française, 1857-1960, Khartala, 2009

 

L’ENROLEMENT DES TIRAILLEURS SENEGALAIS

L’Appel à l’Afrique commence réellement dans les premières semaines d’août 1914, mais les populations opposent rapidement des résistances. Dès 1915, des révoltes éclatent comme dans le Bélédougou (Mali), dans l’Ouest Volta (Burkina Faso) ou au nord du Dahomey (Bénin). Des insurrections ont lieu jusqu’au printemps 1917. C’est la réquisition qui est utilisée pour constituer l’armée coloniale et qui engendre une résistance des africains. Les administrateurs coloniaux fixent des quotas aux chefs de cantons qui répercutent auprès des chefs de villages.

Le Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française, Joost Van Vollenhoven alerte l’autorité française dans un rapport au Ministre Maginot le 20 juillet 1917 « Pour tirer de ce pays encore quelques milliers d’hommes, on le mettra à feu et à sang et on le ruinera ». Mais dès janvier 1918, un nouvel appel à l’Afrique est lancé. Blaise Diagne, député du Sénégal, en a la charge. Alors devenu commissaire général aux troupes noires avec rang de sous-secrétaire d’État aux colonies, il organise le recrutement militaire en AOF. Entre février et août 1918, il sillonne l’Afrique de Dakar à Bamako pour convaincre les cadres de la société africaine. Il promet des médailles militaires, une bonne solde, un certificat de bien manger, un habillement neuf et surtout la citoyenneté française une fois la guerre finie. Les primes de recrutement sont fortement augmentées. Sur l’année 1918, il réussit à mobiliser 63 000 soldats en Afrique Occidentale Française (AOF) et 14 000 en Afrique Equatoriale Française (AEF).

En quatre ans, ce sont donc plus de 160 000 hommes qui sont recrutés pour contribuer à l’effort de guerre sur le continent européen.

RécapitulatiF des recrutements de la guerre de 1914-1918 en AOF

Population

Recrutements

Total

% de la population

1914-1915

1916

1917

1918

12 351 485

31 768

53 535

12 182

63 276

161 361

1,3

Source : Marc Michel, Les Africains et la Grande Guerre, l’Appel à l’Afrique (1914-1918), Khartala, 2003.

 

L’UTILISATION DES TIRAILEURS PENDANT LES COMBATS

Au total, dix bataillons de tirailleurs combattent en France en 1914 soit environ 5 300 hommes. A peine débarqués dans les ports français, les hommes sont envoyés au front sans entrainement, sans préparation, sans parler français. Les premiers combats sont ravageurs.  Près d’un homme sur 3, tombe, tué, disparu ou blessé. En février 1915, sans plus d’entrainement, les troupes noires sont envoyées en renfort dans l’opération des Dardanelles. L’armée française qui s’enlise face aux lignes turques demande de plus en plus de soldats noirs. Début octobre 1915, le Corps Expéditionnaire d’Orient comprend 2/3 de troupes de « couleur ». Les pertes sont énormes et le maintien de ses troupes pendant l’hiver constitue une épreuve supplémentaire. Cet épisode oblige le commandement à organiser un « hivernage » des troupes noires.

C’est à partir de 1916, que le commandement emploie de façon beaucoup plus importante les contingents noirs. Cette année-là, les tirailleurs sont engagés sur le front de la Somme et sur celui de Verdun. Au mois de juillet, deux bataillons participent aux tentatives de conquête de positions allemandes d’Assevillers. Les pertes sont effroyables, plus d’un tiers du 71ème BTS est mis hors de combat (morts, disparus, blessés), le 28ème BTS, perd un cinquième de ses effectifs. Ces faits de guerre se multiplient sur le front de la Somme comme sur celui de Verdun.

1917, est une année terrible pour les Noirs sur le font français, c’est l’année du sacrifice des Sénégalais au Chemin des Dames, celle qui vaut à Mangin le qualificatif de « boucher des Noirs ». L’idée est bien de recourir au maximum à l’effort colonial pour économiser les forces de la métropole. Ils participent à la bataille du Chemin des Dames en avril 1917 au cours de laquelle ils perdent plus de 7 000 hommes sur 16 500 engagés, soit le quart de leurs pertes totales au cours de la guerre.

1918 est l’année la plus sombre de la guerre pour les Sénégalais appelés à défendre la « Mère Patrie ». Ils s’illustrent pendant la défense de Reims. Au départ conçu comme une simple diversion, l’offensive devient une bataille importante. Les soldats noirs des Bataillons des Tirailleurs Sénégalais se battent pendant ces journées de juillet 1918, de façon héroïque. Face aux gaz et aux assauts allemands, le bilan est tragique, certains BTS perdent jusqu’à  75 % de leurs hommes.

CONCLUSION

Entre 1914 et 1918, plus de 160 000 tirailleurs sénégalais, essentiellement de l’AOF sont recrutés et déplacés pour se battre pour la « Mère Patrie » et participer de leur sang à l’effort de guerre. C’est peu comparé au 42 millions de déportés des différentes traites négrières mais sur un délai de 4 ans, c’est une « traite » massive.

Les « récompenses » promises sont dérisoires et scandaleuses au vu du prix payé par ces hommes. En 1998 seulement, on prévoit de donner la légion d’honneur, au dernier tirailleur sénégalais encore vivant : Abdoulaye N'DIAYE. Engagé dès le début de la guerre, Abdoulaye participe aux combats en Belgique, à l'expédition des Dardanelles en 1915, aux combats de la Somme en 1916. Il termine la guerre à Verdun en 1918. Il ne touche ses premières pensions qu’en 1949 ; une pension d’ancien combattant et une pension d’invalidité. A cette époque son petit-fils, lui aussi tirailleur, se bat pour la France en Indochine.  

En 1998, le montant mensuel de ces deux pensions qui a été gelé par le gouvernement français à partir de l'indépendance du Sénégal en 1961 est dérisoire : 340,21 francs français (45€). Abdoulaye est mort le 10 novembre 1998, la veille de la cérémonie de remise de sa médaille qu’il obtiendra à titre posthume.

Mathilde Roux

Le déplacement des africains sur le front européen, deuxième transfert de masse après la traite négrière.

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Rédigé par Libre Pensée 72

Publié dans #anti militarisme, #colonialisme

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