Publié le 29 Février 2012

Rédigé par Libre Pensée 72

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Publié le 12 Février 2012

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Hypatie d’Alexandrie, Saint Cyrille et le monothéisme.

Dans un numéro récent de la revue Sciences Humaines, un auteur affirmait que le monothéisme était père de l’intolérance religieuse, dans le sens où, contrairement au polythéisme, il n’acceptait qu’une seule vérité.  Point de syncrétisme, point de panthéon, point d’acculturation culturelle et religieuse, dès lors que l’on considère qu’il n’y a qu’un dieu et qu’une seule vérité. C’est ce qui fut d’ailleurs reproché aux juifs puis aux chrétiens par les romains.

C’est cette remarque sur le monothéisme, qui a le plus occupé mon esprit en  visionnant le film Agora du réalisateur Alejandro Amenabar. J’avais déjà entendu parler de ce film par des camarades libres penseurs et je connaissais vaguement la vie de la philosophe et astronome grecquo-égyptienne, Hypatie. J’ai découvert cette femme dans une chronologie historique où sa mort était prise comme symbole pour montrer la fin de la pensée Gréco-romaine antique et l’avènement de l’obscurantisme chrétien.

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Fille du dernier directeur de la bibliothèque d’Alexandrie (Théon), Hypatie est une scientifique, agnostique, laïque avant l’heure, qui enseigne notamment la pensée de Platon, les mathématiques et l’astronomie. Ses travaux ont été détruits mais on suppose qu’elle travaillait sur une forme d’héliocentrisme.

L'historien chrétien Socrate le Scolastique disait d’elle, dans son Histoire ecclésiastique (vers 440) :

« Il y avait à Alexandrie une femme du nom d’Hypatie ; c’était la fille du philosophe Théon ; elle était parvenue à un tel degré de culture qu’elle surpassait sur ce point les philosophes, qu’elle prit la succession de l’école platonicienne à la suite de Plotin, et qu’elle dispensait toutes les connaissances philosophiques à qui voulait ; c’est pourquoi ceux qui, partout, voulaient faire de la philosophie, accouraient auprès d’elle. La fière franchise qu’elle avait en outre du fait de son éducation faisait qu’elle affrontait en face à face avec sang-froid même les gouvernants. Et elle n’avait pas la moindre honte à se trouver au milieu des hommes ; car du fait de sa maîtrise supérieure, c’étaient plutôt eux qui étaient saisis de honte et de crainte face à elle. »

Ne pas être chrétienne, enseigner le rationalisme, la philosophie, être femme, indépendante et avoir une influence sur une partie du peuple et sur le préfet romain Oreste ; voilà plusieurs raison qui vont conduire Hypatie à sa perte. Celle-ci intervient en 415, dans un empire romain désormais devenu chrétien (en 391, l’édit de Théodose ordonnait notamment la destruction de tous les temples païens).

Hypatie est ainsi lapidée par agora13.jpgune milice chrétienne ; les paraballanis,  groupe de quelques centaines de bras armés aux ordres du puissant patriarche d’Alexandrie : Cyrille.

Bien que le film me conforte dans ma vision du christianisme comme obstacle à la liberté, il me fallait toutefois vérifier un peu l’exactitude de cette histoire. C’est tellement facile de faire un film manichéens où des bons se font maltraiter et tuer par des méchants. Sur internet, j’ai notamment trouvé le site d’un historien spécialisé dans l’histoire des religions. Sébastien Fath, c’est son nom, est chercheur au CNRS.

Voilà ce qu’il dit du film : « Recherches faites (de seconde main! Je ne suis pas helléniste), il s'avère que la trame du film est historiquement solide. Ce péplum comporte finalement assez peu d'extrapolations, même si on édulcore la fin, et qu'on romance un peu autour de l'apport d'Hypatie à l'astronomie (à ce sujet, on n'est sûr de rien, les écrits d'Hypatie ayant hélas disparu). Le fanatisme chrétien de l'époque, encouragé par la politisation post-constantinienne du religieux (l'Eglise devenant un soutien du pouvoir) correspond fort bien à ce que les sources antiques nous révèlent. »

Plus loin, il se pose la question de la responsabilité de Cyrille. Il cite alors deux auteurs spécialistes de la question ; Maria Dzielska et Pierre Chuvin.

« D'après Maria Dzielska, dont l'ouvrage est désormais considéré comme la référence principale en ce qui concerne Hypatie elle-même, Hypatie n'était pas une activiste païenne. Son cercle d'étudiants comprenait des païens et des chrétiens: elle ne faisait pas de discrimination. Cyrille, de son côté, apparaît d'après les sources comme un évêque violent, intolérant, qui chasse brutalement les Novatiens, puis les Juifs. Face à Hypatie, en revanche, il est embarrassé. La réputation d'Hypatie étant excellente, son prestige non moins grand, que faire pour écarter cette gêneuse?  L'existence des paraballani, que l'on voit dans le film comme une milice chrétienne inquiétante, est bel et bien confirmée par Maria Dzielska, d'après sa lecture des sources primaires: il s'agissait de 500 à 800 fiers à bras chrétiens, milice charitable.... mais aussi chargée de la protection de Cyrille. Ce sont bien ces hommes qui s'en sont pris au gouverneur, Oreste, accusé de tiédeur (là encore, le film est fidèle aux sources). C'est alors que serait intervenue Hypatie, contestant le pouvoir jugé démesuré de l'évêque, et plaidant pour le respect de l'autorité civile. La thèse de l'auteure est la suivante: réalisant l'obstacle représenté par Hypatie, Cyrille aurait créé un climat de plus en plus hostile à la philosophe, laissant les mains libres aux surenchères et, finalement, au lynchage de la malheureuse. D'après Dzielska, Cyrille n'auraitpas commandité l'assassinat (dans des circonstances particulièrement odieuses). Il aurait simplement créé le climat débouchant sur l'irréparable.

Sur nombre de points, Pierre Chuvin, dans sa large (et émouvante) synthèse sur la destruction des derniers païens par la machine de guerre post-constantinienne (ou théodosienne: christianisme, religion d'Etat), rejoint Maria Dzielska. En revanche, il diffère en partie dans le rôle dévolu à Cyrille, et ses arguments méritent qu'on s'y attarde. D'après lui, les mains de Cyrille ont trempé dans l'assassinat. Pas directement bien-sûr (Cyrille n'a pas poignardé lui-même la malheureuse). En revanche, il souligne en particulier un point négligé par Maria Dzielska, à savoir que le lynchage de la philosophe-mathématicienne par des miliciens chrétiens fanatiques a eu lieu.... dans la propre église patriarcale de l'évêque Cyrille! Difficile, dans ces conditions, d'imaginer que Cyrille n'ait pas cautionné, directement ou indirectement, l'élimination d'un soutien fort d'Oreste, gouverneur détesté de Cyrille. Du reste, Socrate le scolastique, en 440, ne soulignait-il pas déjà que le lynchage a porté atteinte à l'image de Cyrille et à l'église d'Alexandrie"?  Sébastien Fath note cependant que le massacre d’Hypatie n’a pas fait  l’unanimité chez les chrétiens. Ainsi l’évêque « Synésios de Cyrène, ancien étudiant d'Hypatie (un autre personnage du film parfaitement attesté historiquement) fait même preuve, dans sa correspondance, d'une admiration sans borne pour cette femme exceptionnelle ».

Et là, vous vous demandez, et Cyrille qu’est il devenu ? La réponse est très simple Saint Cyrille, sanctifié, glorifié est toujours considéré comme un bon père de l’Eglise aujourd’hui encore. « C'est bien cet homme, caution du lynchage d'Hypatie, dénonciateur impitoyable des 'hérétiques' et expulseur des juifs d'Alexandrie, que le pape Léon XIII a désigné comme "docteur de l'Eglise" en 1882 (notamment pour sa théologie mariale). C'est bien cet homme, théologien et normalisateur musclé d'une politique d'éradication de la différence, que le pape Benoît XVI a qualifié, le 3 octobre 2007, lors d'une audience générale, de "témoin inlassable et ferme de Jésus-Christ"... »

Du 5ème siècle à aujourd’hui, il y a une certaine continuité au sein de l’Eglise. Ses prétendus changements, ces pseudos adaptions à la modernité et à la démocratie ne sont que le produit de l’action des démocrates. Comment se comporterait l’Eglise catholique et ses adeptes, si les lumières, la libre Pensée et le mouvement ouvrier et démocrate n’était pas passés par la ?

 

Hansi

 

Sources : http://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2010/01/28/le-lynchage-d-hypathie-le-temps-de-rouvrir-le-dossier.html#more

 

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