Publié le 13 Janvier 2008
Suite à la parution, en juin 1857, de son recueil de poésies
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire était en procès devant la sixième chambre correctionnelle de Paris.
Les motifs : outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, et outrage à la morale religieuse !!!
L'ouvrage avait fait l'objet d'une sévère critique dans le journal Le Figaro du 5 juillet 1857 : Gustave Bourdin considérait qu'il pouvait y avoir « un doute sur l'état mental de M.Baudelaire », que « l'odieux y coudoie l'ignoble, le repoussant s'y allie à l'infect » pour conclure : « ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit. »
Gustave Chaix d'Est-Ange, avocat de Baudelaire lui évite la condamnation pour offense à la morale religieuse. Mais, malgré le soutien de ses amis Sainte-Beuve et Barbey d'Aurevillly, le poète est condamné pour outrage à la morale et aux bonnes mœurs. Il doit s'acquitter d'une amende de 300 francs. Ses deux éditeurs (Poulet-Malassis et De Broise) 100 francs d'amende chacun. A titre de comparaison, un ouvrier mineur perçoit 686F par an en 1854.
Le tribunal ordonne que six poèmes soient retirés du recueil (les feuilles sont arrachées !) : Le Léthé, Les Bijoux, A celle qui est trop gaie, l'une des Femmes damnées, Lesbos, et les métamorphoses du vampire. (Ils seront de nouveau publiés en Belgique, en 1864, dans le Parnasse satirique du XIX siècle).
Le fameux ouvrage a été imprimé à Alençon par Auguste Poulet-Malassis, que Charles Baudelaire a connu à Paris, en 1850 au quartier latin.
Réputé pour la qualité de son travail, l'éditeur apporte du sang neuf à l'édition. Il est reconnu pour son esprit anti-conformiste, son courage et son aptitude à découvrir de nouveaux talents.
C'est ainsi que pendant quatre mois, un échange épistolaire dense va se dérouler entre les deux hommes : l'éditeur envoie les épreuves imprimées, Baudelaire remanie son texte, fait des propositions de mise en pages, et de ponctuation « qui sert à noter non seulement le sens mais la déclamation », Poulet-Malassis donne son avis, accepté ou non par Baudelaire.
L’exposition « Auguste Poulet-Malassis - Charles Baudelaire » organisée cet été à Alençon, a présenté des livres, des lettres autographes, des documents graphiques rares ou inédits.
Jugée immorale à sa première édition il y a 150 ans, aujourd’hui l’œuvre de Baudelaire est un classique, éditée en plusieurs centaines d’éditions dans le monde.
Gérard Désiles
Un des poèmes interdits…
LE LÉTHÉ
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Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil, douteux comme la mort,
J’étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
A mon destin, désormais mon délice,
J’obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne cigüe
Aux bouts charmants de cette gorge aigüe
Qui n’a jamais emprisonné de cœur.
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Le Léthé : dans la mythologie grecque, fleuve de l’oubli situé aux enfers. Les esprits des morts en buvaient l’eau pour oublier les ennuis de leur vie terrestre avant d’entrer dans l’Elysée.