De la démocratie et de la subsidiarité

Publié le 3 Novembre 2007

Christian BAQUÉ responsable de la Fédération de la Gironde de la Libre Pensée, s’entretient avec Joachim SALAMERO, président d’honneur de la Fédération Nationale, et président actif de 1996 jusqu’à notre Congrès national au mois de juillet de cette année.
 

Christian Baqué : Nous allons aborder ce matin quelques aspects d’un thème plus général, la démocratie. Je dis bien quelques aspects, car la question est vaste…

 

Mais si nous définissons la démocratie comme le gouvernement du peuple par le peuple, comme le système politique permettant, à partir de chaque individu, de chaque citoyen, qui manifeste son opinion, sa ou ses revendications, de donner mandat, délégations à ses représentants, d’exercer un contrôle permanent, peut on dire que ce principe de délégation représentative est aujourd’hui réellement pratiqué ? Qu’en penses-tu ?

 

Jo Salamero : Je pense qu’il n’est pas pratiqué, et que nous en sommes même très loin. Tu viens d’évoquer, rapidement, un système qui ressemble fort à celui instauré par la Commune de Paris en 1871, et qui reste pour nous, libres-penseurs, un modèle, une référence. La démocratie politique est un système ascendant, de la base au sommet. Tout part du citoyen qui associé aux autres citoyens, à travers les diverses instances mises en place, élabore les orientations et les décisions. Or nous vivons depuis quelques années sous un autre système qui lui très exactement opposé, basé sur le principe fondateur de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, le fameux principe de subsidiarité. Selon ce principe, que toutes les encycliques revendiquent comme un mode d’organisation de la société, c’est l’autorité supérieure qui décide et qui octroie aux groupements inférieurs la liberté de gestion pour exécuter ce qu’elle a décidé. Mais les citoyens n’ont pas participé à la décision, à son élaboration.

 

Christian Baqué : Mais la subsidiarité n’est-elle pas un des principes fondateurs des institutions de l’Union Européenne ?

 

eu8.jpgJ. S. : Bien entendu. C’est ainsi que notre ami René Andrau, dans son excellent ouvrage publié en 2002, et intitulé « Dieu, l’Europe et les politiques », nous rappelle très justement, et je le cite : que « l’Europe ne se construit pas à partir d’un principe hérité de l’humanisme de la renaissance, de la philosophie des Lumières, du romantisme social, ou des combats du XXème siècle pour la liberté. Elle se construit autour d’un concept du droit canon, le principe de subsidiarité. » Nous reviendrons sur l’Europe, ou plus exactement sur l’Union européenne, dans quelques instants. Mais ce principe, que l’on peut faire remonter à Thomas d’Aquin, est notamment très clairement explicité dans l’Encyclique « Quadragesimo Anno », publiée en 1931, dans laquelle nous lisons « que l’autorité abandonne aux groupements de rangs inférieurs le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort, elle pourrait dès lors assurer plus librement plus puissamment plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle seule parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité. Que les gouvernements en soient bien persuadés, plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements, selon le principe de la subsidiarité, plus grande seront l’autorité et la puissance sociale. »

 

Dans une Encyclique, chaque mot a son importance. Nous avons bien entendu les attributions des fonctions : l’autorité nous abandonne les affaires de moindre importance car elle seule peut diriger. Rappelons également que c’est cette encyclique qui fait l’éloge du fascisme italien, de son système corporatiste.

 

Or ce principe de subsidiarité est repris dans l’article 3B du traité de Maastricht qui le consacre comme principe fondateur du droit communautaire. Il en a été beaucoup question dans le cadre de la préparation du Traité constitutionnel soumis à referendum le 29 mai 2005. Mais aussi par exemple, au moment de la révision constitutionnelle d’avril 2003 quand le Premier Ministre, M. Raffarin, déclare à propos de cette révision constitutionnelle, qu’il s’agit de « transposer la préoccupation qu’exprime en droit communautaire le principe de subsidiarité. »

 

Rappelons, en ce qui concerne les études, les réunions préparatoires à l’élaboration du projet de traité constitutionnel, que M. Giscard d’Estaing, qui présidait ces instances, disait « les principes de subsidiarité seront affirmés de manière précise ». Citons un grand spécialiste de la subsidiarité, M. Jacques Delors : « avec ce concept de la subsidiarité, nous rejoignons à la fois les encycliques sociales catholiques et la tradition protestante. » Et, bien entendu, n’étant pas en reste, la Conférence des évêques d’Europe soulignait l’importance du principe de subsidiarité et recommandait vivement sa reconnaissance dans la constitution qui était en projet.

 

Dans la pratique, cela signifie, par exemple, que la Commission de Bruxelles décide, décrète des directives, que les Parlements nationaux sont chargés de transcrire, purement et simplement dans le droit national. Droit national qui est désormais totalement subsidiaire du droit communautaire.

 

Avec ce système là, effectivement, qui s’applique tous les jours, nous sommes loin, très loin, de la démocratie ! Et il est certain que le traité dit « simplifié » reprendra les mêmes dispositions antidémocratiques.

 

Ch. B. : Le Congrès de la Fédération Nationale de la Libre Pensée qui s’est réuni il y a quelques jours à Clermont Ferrand a évoqué ces questions ?

 

J. S. : Bien sûr. Et ce n’est pas la première fois que nous les évoquons. Dans les années 1950, dès le Traité de Rome, nous avons qualifié cette construction européenne « d’Europe vaticane. » En 1992, nous avons dit que le Traité de Maastricht était foncièrement antidémocratique parce qu’il reprenait ce principe comme principe de base de construction. Pendant la campagne référendaire de 2005, nous avons fait campagne pour le NON, en faisant le lien entre le traité et la doctrine sociale de l’Eglise, doctrine que nous confirmons comme étant antidémocratique.

 

Amis auditeurs, permettez moi de vous recommander la lecture de l’ouvrage déjà cité de notre ami René Andrau, ou encore les actes de notre Colloque international d’Avignon, en 2000, mais aussi le numéro récent de notre revue trimestrielle L’Idée Libre, consacré à la doctrine sociale de l’Eglise catholique, qui traite de ces questions. Toutes ces publications, bien entendu, sont en vente au siège de la Fédération Nationale de la Libre-Pensée.

 

Rappelons également, ce n’est pas inutile par les temps qui courent, que les constitutions et les chartes du travail, chez Salazar, Franco, Mussolini, Pétain, sont toutes basées sur ce principe de subsidiarité de l’Eglise catholique, en matière de relations sociales entre patrons et salariés ; et que, par exemple, une de leurs caractéristiques est de faire des organisations syndicales ouvrières, et professionnelles patronales, de simples organes d’exécution des décisions de l’Etat. La Charte du Travail de Pétain prévoyait que « devenus de véritables autorités administratives, les syndicats seront soumis au contrôle dit de tutelle de l’Etat. » Eh bien aujourd’hui nous disons que tout programme politique quel qu’il soit, tendant à faire des organisations syndicales et patronales non seulement des associés, mais des structures corporatistes subsidiaires, exécutant des décisions étatiques, elles-mêmes prisonnières des décisions de Bruxelles et de la Banque centrale européenne, tout programmes politiques fondés sur ces principes de subsidiarité sont l’opposé de la démocratie politique, et, sur son terrain, en toute indépendance, notre association, la Libre Pensée, continuera de les dénoncer et de les combattre.

 

Ch. B. : Nous pouvons donc poser la question à tous ceux, à toutes celles qui, dans les milieux politiques, se proclament d’ardents défenseurs de la démocratie :

 

Comment peut-on prétendre construire, consolider, développer une véritable démocratie, avec une institution, une Eglise, dont toute l’organisation est hiérarchisée de haut en bas, une institution anti démocratique, qui se considère seule détentrice de la vérité, comme vient de le proclamer, il y a une semaine, le Vatican ?

 

Et comment est-il possible un seul instant de collaborer avec cette institution qui n’a de cesse de combattre, par exemple, ce fondement de la démocratie et de la République que représente la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 ?

 

Deux remarques à ce propos. Tu as expliqué le principe de subsidiarité. En effet le principe de subsidiarité est une machine à détruire la République.

 

Pour nous la République est Une et Indivisible, garante des droits et devoirs de chacun. Pour d’autres, pour l’Union européenne, elle est à jeter aux oubliettes de l’Histoire. Les tentatives de parcellisation se sont enchaînées depuis des années : lois sur la décentralisation, création des « pays », des « territoires », charte des langues minoritaires et régionales, ghettoïsation des banlieues, désertification des zones rurales… Les droits ne seraient plus les mêmes, chaque territoire concurrençant son voisin, supprimant les droits acquis, nivelant tout par le bas…

 

Seconde remarque, concernant la loi de 1905. Notre Congrès a réaffirmé que la loi de Séparation est et reste le socle de la laïcité institutionnelle de ce pays. C’est elle qui garantit l’exercice de la liberté de conscience, ainsi que l’interdiction de tout financement public des Eglises et des religions, car elle n’en reconnaît aucune.

 

Nous connaissons les entorses que constituent toutes les lois anti-laïques dont nous demandons l’abrogation. Nous en avons fait état lors de nos « inventaires laïques », en préparant les Etats généraux de la laïcité, en décembre 2006. Et nous avons chiffré leur coût pour la République : il est important ! N’oublions pas, et la liste est longue, que subsistent également le statut concordataire d’Alsace Moselle, qui coûte annuellement 33 millions d’euros à l’Etat, les concordats d’outre mer, les dispositions de la loi Pétain du 25 décembre 1942.

 

C’est aussi pour cela que notre Congrès a approuvé la lettre aux maires, aux conseillers municipaux, et aux candidats aux élections municipales pour l’abrogation de l’article 89 de la loi du 13 août 2004. Celui-ci impose aux communes de contribuer aux frais de scolarité des élèves des établissements privés sous contrat du 1er degré situés hors de leurs limites territoriales. L’occasion pour nous de rappeler le principe laïque très facilement, trop facilement, oublié par les gouvernements successifs depuis des décennies : Fonds privés à l’école privée, Fonds publics exclusivement à l’école publique !

 

J. S. : Cette loi de 2004 confirme bien l’accélération de l’offensive de remise en cause de la laïcité institutionnelle.

 

Ch. B. : En effet, tu as cité tout à l’heure l’Union européenne, laquelle mène une campagne permanente contre la laïcité.

 

europe.JPGEh bien le mini traité européen en discussion, prévu pour remplacer le Traité constitutionnel massivement rejeté, et pas seulement par le peuple français, en mai 2005, ce mini traité conserve le contenu de l’article 52 qui, définissant le statut des Eglises, octroie des privilèges exorbitants et anti démocratiques aux religions.

 

Il s’agit de la réponse favorable à la déclaration du Congrès de la Commission des Conférences Episcopales de la communauté européenne, je cite : « l’Europe doit prendre conscience de ses propres racines chrétiennes et du rôle public des religions ».

 

Notons au passage que la Présidence de l’Assemblée du Conseil de l’Europe vient de refuser d’inscrire à l’ordre du jour le rapport de 18 parlementaires de divers groupes politiques consacré aux dangers du créationnisme dans l’éducation.

 

Une volonté d’empêcher le débat alors que le créationnisme menace plus d’un tiers des pays d’Europe. Le créationnisme veut, entre autres, éradiquer la théorie de l’évolution et comme le souligne le rapporteur, l’ancien ministre Guy Lengagne, nous ramener au Moyen Age. Les créationnistes de toute confession cherchent à imposer leurs idées en Europe à partir de trois centres de diffusion :

 

- les Etats Unis où prospèrent les sectes protestantes,
- la Turquie et les réseaux islamistes,
- et de façon récurrente, le Vatican, à sa manière feutrée et cauteleuse.

 

J. S. : Le combat, notre combat pour la séparation, en France, et dans tous les pays d’Europe, est bien un combat d’actualité.

 

Ch. B. : Sans aucun doute ! Libres Penseurs, nous nous prononçons pour la liberté absolue de conscience de chaque individu, nous en tirons comme conséquence qu’il faut la défendre là où elle existe mais est menacée, la conquérir là où elle n’existe pas. Pour nous la séparation des Eglises et des Etats (ce qu’en France nous appelons la laïcité institutionnelle) est la condition pour pouvoir pratiquer cette liberté de conscience. C’est aussi une nécessité pour un fonctionnement démocratique des sociétés. Démocratie politique et laïcité sont complémentaires, indissociables. L’une ne va pas sans l’autre.

 

Et à l’heure où le nouveau président de la République affirme son soutien et son appartenance au catholicisme, la vigilance est indispensable. Sarkozy cherche, sous prétexte « d’aménagement » et de « mises à jour », à réviser la loi de 1905. N’avait-il pas déjà indiqué à l’hebdomadaire « Familles chrétiennes » que le christianisme (je cite) « participe de manière essentielle à l’identité nationale » ? Et insisté sur « les racines chrétiennes de l’Europe » ?

 

Le Vatican s’en est félicité. Le bras droit du pape, Tarcisio Bertone, déclare « Nicolas Sarkozy s’est déplacé un peu partout en Europe, et je vois que la France est aussi en train de changer ses orientations et ses positions sur ce thème. C’est une bonne chose, car une saine laïcité peut aussi être parfaitement compatible avec la reconnaissance de ses racines, de ses origines chrétiennes et de sa propre identité chrétienne ».

 

Les cléricaux n’ont jamais accepté d’être relégués au domaine du privé. Attention donc à l’occasion de la venue du pape en France au printemps 2008 : l’argent de la République ne peut être utilisé pour financer la visite du pape !

 

D’où l’initiative de notre Congrès national de proposer aux associations françaises, membres, avec la Libre Pensée, de l’Union Internationale Humaniste et Laïque, (Ligue de l’Enseignement, Union Rationaliste, AFIS, Mouvement Europe et Laïcité) de lancer un appel pour la tenue d’un rassemblement laïque et international, au moment de la venue en 2008 de Benoît XVI en France, contre le financement public de la visite du pape et pour la laïcité en Europe.

 

Une information pour conclure : il y a 160 ans, dans les premiers mois de l’année 1848, une vague révolutionnaire sans précédent parcourait les principales villes des différents Etats d’Europe. En 1848, les premiers cercles de la Libre-Pensée voyaient le jour. Eh oui, en même temps que le « printemps des peuples », apparaissait la Libre Pensée comme forme organisée !

 

C’est cet anniversaire que nous fêterons les 22, 23, 24 mars à Paris, lors d’un colloque international organisé par l’IRELP, l’Institut de Recherche et d’Etudes de la Libre Pensée. La séance d’ouverture se tiendra au Sénat le 22 mars, et, la veille, vendredi 21, il sera précédé par le banquet de plusieurs centaines de convives en hommage au 140ème anniversaire du premier banquet du vendredi « dit-saint » en 1868, organisé par Sainte-Beuve contre tous les interdits religieux.

 

La Libre-Pensée appelle tous les laïques, tous les républicains, tous les démocrates, à se regrouper, à s’unir, pour le respect et la restauration de la loi de 1905.

 

Nous sommes convaincus de l’attachement de la majorité des citoyens de ce pays à la laïcité, à la séparation des Eglises et de l’Etat.

Rédigé par Libre Pensée 72

Publié dans #Subsidiarité

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